Il s’appelle Jean, on l’a surnommé le baptiste. Assis dans sa prison, il ne peut s’empêcher de penser, de réfléchir, à cause de ce qu’on lui a dit de ce Jésus.
Il a entendu parler de lui depuis son enfance. Sa mère lui avait parlé de lui. Il entend encore ses paroles et son émotion lorsqu’elle lui racontait la visite de sa cousine Marie. Sa mère était enceinte, elle l’attendait, lui, Jean, elle qu’on disait stérile, elle qui était de toute façon trop vieille pour espérer encore enfanter, et pourtant… Et Marie qui n’était pas encore mariée était aussi enceinte. Sa mère en la voyant l’avait senti bouger en elle et elle avait su aussitôt que l’enfant que portait Marie serait important, qu’il était celui qui était attendu depuis si longtemps, celui que Dieu avait promis à son peuple. Il n’était pas sûr d’avoir vraiment cru sa mère lorsqu’elle lui racontait cela : malgré tout le respect et l’affection qu’il avait pour sa mère, il lui était difficile de ne pas penser un peu que ce n’était que des histoires de bonnes femmes.
Son père, lui, ne lui avait jamais parlé de l’enfant de Marie, mais il lui avait plusieurs fois raconté qu’il avait vu un ange dans le Saint des saints du Temple de Jérusalem, l’ange Gabriel, qui lui avait annoncé qu’il aurait un fils et que ce fils qu’il appellerait Jean, serait un prophète, qu’il serait celui qui préparerait le peuple à la venue du Messie. Son père Zacharie, l’avait élevé dans ce but, pour qu’il devienne un serviteur du Dieu tout-puissant.
Ce n’est que bien plus tard que Jean avait rencontré Jésus alors qu’il prêchait dans le désert. Il y vivait très simplement, habillé de peaux de bêtes, se nourrissant de peu, du miel, des sauterelles. Dans ce dénuement, dans le désert où Dieu s’est autrefois adressé à son peuple au temps de l’Exode, il voulait se rapprocher de Dieu, recentrer sa vie sur l’essentiel. Il invitait les gens à la conversion, à se tourner vers Dieu et à changer leur vie, il les baptisait pour marquer leur volonté de changer. Il dénonçait les faux-semblants et les habitudes immuables, l’hypocrisie et les compromissions de certains qui croyaient qu’il leur suffisait d’être descendants d’Abraham pour que leur salut soit assuré et qu’ils n’avaient pas à chercher Dieu vraiment, ni à l’aimer.
Jean annonçait l’irruption de Dieu dans la vie des hommes. Il était sûr que le temps était proche. Beaucoup de gens venaient le voir : ceux qui reconnaissaient tout ce qui les sépare de Dieu et qui voulaient rétablir leur relation à Dieu. Certains pensaient que Jean était le Messie, le Christ, mais, lui, il savait qu’il n’était pas le Messie, que peut-être, si ce que son père lui avait dit était vrai, il préparait seulement sa venue, modestement.
Jésus est venu, lui aussi, demander le baptême : Jean avait d’abord refusé car il avait su en le voyant que lui, n’en avait pas besoin. Il n’avait pas besoin de rétablir sa relation à Dieu, Dieu était avec lui. Mais de là à reconnaître en lui le Messie… Jean ne savait trop quoi en penser. Pourtant après l’avoir baptisé, car il l’avait baptisé puisque Jésus avait insisté jusqu’à ce que Jean accepte, une voix s’est fait entendre, une voix venue du ciel : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; je mets en lui toute ma joie. » C’était comme si le ciel s’était approché de la terre, c’était Dieu qui s’approchait des hommes.
Aujourd’hui, Jean était en prison, c’est ce qui arrive parfois lorsqu’on ose dire aux puissants leurs quatre vérités. Et il savait bien, Jean, que souvent les prophètes avaient été maltraités, persécutés, parce qu’ils servaient Dieu : son emprisonnement était peut-être la preuve qu’il avait bien fait ce pour quoi Dieu l’avait choisi. Jean savait qu’il ne sortirait pas avant longtemps de ce cachot, peut-être même qu’il n’en sortirait pas vivant. Alors, il avait besoin de certitudes, être rassuré pour affronter l’emprisonnement ou la mort avec confiance. C’est pourquoi, il a envoyé ses disciples à Jésus pour lui poser directement la question : est-il le Messie qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? Jean pressentait la réponse, mais il aurait voulu en être sûr. Il avait besoin de savoir si Jésus est celui dont il avait préparé la venue. Il avait entendu dire que ce que Jésus annonçait allait dans le même sens que ce qu’il avait lui-même prêché. Si c’était vrai, cela donnait tout son sens à ce qu’il avait essayé de faire et de dire. Sa vie ne serait pas un échec, il aurait rempli sa mission et ceux qui l’ont suivi trouverait en lui le Seigneur et le Maître qu’ils attendent sincèrement.
Les disciples de Jean ont fait ce qu’il leur avait demandé, ils ont posé la question directement, franchement. Mais Jésus n’a répondu pas aussi directement, voici la réponse qu’ils ont rapportée à Jean : « Allez raconter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts reviennent à la vie et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui qui n’abandonnera pas la foi à cause de moi. »
C’est sûr, Jean aurait préféré une réponse directe. Dans sa réponse, Jésus mentionnait des événements dont Jean avait déjà entendu parler, avant même de lui envoyer mes disciples : la guérison de deux aveugles, d’un paralytique, d’un lépreux, d’un sourd et une résurrection. En entendant ces mots, il entendait comme en écho les prophéties du prophète Esaïe. Jésus n’avait pas voulu revendiquer pour lui-même le titre de Messie, peut-être par humilité ou à cause des idées préconçues et des attentes irraisonnées du peuple à propos du Messie, ou sûrement plus encore pour laisser place à la décision, à la liberté de croire en lui ou pas : ni la confiance, ni l’amour ne se forcent. Mais il invitait à reconnaître dans les miracles qu’il accomplissait, le signe qui marque de manière décisive que les prophéties ont commencé à s’accomplir. Dépasser l’extraordinaire et l’inexplicable pour voir l’amour et la fidélité de Dieu à l’œuvre.
Et si à travers lui, c’était la toute-puissance de Dieu qui était à l’œuvre ? Et si son action signifiait que le Royaume de Dieu s’est approché au point d’être visible sur la terre des hommes ? Et si à travers lui, c’était Dieu qu’il fallait reconnaître ? Et s’il était vraiment le Messie, le Christ, le Sauveur promis par Dieu à son peuple ? Son cœur était plein de questions et en même temps d’une sérénité surprenante : parfois les questions sont la preuve qu’on a déjà la réponse et Jean savait bien que lorsqu’on cherche Dieu, c’est qu’en fait on l’a déjà trouvé ou plutôt que lui, nous a trouvé !